L’histoire singulière des enclaves de Nahwa et Madha

Des panneaux routiers à la frontière entre l’enclave Omanaise de Madha et les Emirats arabes unis

À la suite de la crise de Suez en 1956, les britanniques se sont désengagés d’Egypte pour se repositionner dans le Golfe. Au même moment, au début des années 1960, un premier puits de pétrole a été découvert à Abu-Dhabi, ce qui a permis un développement rapide de l’émirat. Dubaï a également été gagné par cet élan de développement économique, aidé par les recettes des exploitations pétrolières. Les différents émirats ont dès lors commencé à se rapprocher et à reprendre le contrôle du pouvoir aux anglais en formant notamment un conseil qui leur permis de décider eux-mêmes des enjeux politiques les concernant. Face à la situation, les britanniques ont annoncé en 1968 leur volonté de quitter militairement le Golfe en 1971.


Des négociations débutèrent alors entre les sept émirats qui constitueront les Emirats arabes unies, ainsi que le Qatar et Bahreïn, afin de créer une fédération. Plusieurs réunions prirent place mais les désaccords entre les différents émirats étaient nombreux tandis que la région continuait de se développer. Après deux ans de stagnation, les négociations ont repris en 1970 après l’arrivée au pouvoir en Grande-Bretagne du gouvernement conservateur d’Edward Heath qui souhaitait continuer le travail entrepris depuis 1968. Cette décision a relancé les négociations entre les neufs émirats de créer une fédération. Toutefois, aucun accord général n’a été trouvé et l’idée d’une fédération à neuf échoue définitivement par la déclaration d’indépendance du Bahreïn le 15 août 1971 et celle du Qatar le 1er septembre suivant. Les Emirats Arabes Unies seront finalement le fruit de l’union des sept autres émirats.


À la suite de la proclamation du nouvel Etat, l’Oman voisin qui venait de récupérer pleinement son indépendance auprès des britanniques devait convenir du sort de l’enclave de Madha et de la demi-enclave de Musandam, toutes deux présentes sur le territoire émirati. Sous l’égide du sultan Qabus Ibn Saïd, le pays décide de conserver ses territoires sans que les EAU s’y opposent. Musandam représente en effet un atout maritime majeur pour Oman. Ce gouvernorat permet en effet au sultanat d’opérer avec l’Iran le contrôle du détroit d’Ormuz, lequel est l’un des couloirs maritimes les plus stratégiques du monde. Cette connexion naturelle entre le golfe Persique et la mer d’Arabie est un transit obligatoire pour les navires pétroliers des monarchies du Golfe afin de relier l’océan indien.

La naissance des enclaves de Nahwa et Madha

Sur une carte, l’arrangement ressemble à un beignet difforme et n’est qu’un des rares exemples dans le monde de ce que l’on appelle un contre-enclave, une parcelle d’une nation contenue entièrement dans le territoire d’un autre pays qui, à son tour, est entouré de tous côtés par le territoire de la première nation.

Carte représentant les enclaves de Nahwa et Madha au sein des Emirats arabes unis.

L’histoire de l’enclave de Nahwa remonte à la fin des années 1930, lorsque quatre clans rivaux régnaient sur la péninsule de Musandam. Cependant, il n’était pas décidé à qui ces clans prêtaient allégeance. La frontière la plus étrange des Émirats arabes unis fut alors créée par la plus simple des questions. Il s’agissait d’une question d’allégeance tribale, posée par les chefs des quatre clans rivaux qui régnaient sur la péninsule de Musandam à un groupe d’anciens du village de Madha, sur la côte est. Chaque clan s’est engagé à être loyal envers Oman, sauf Nahwa.

Nahwa avait des liens plus étroits avec la ville de Sharjah et a donc choisi de rester associé aux dirigeants de l’émirat. C’est ainsi que fut fondé une contre-enclave au sein de Madha, la seule du Moyen-Orient.

Personne n’aurait pu imaginer qu’une alliance de convenance conclue par un village généralement autonome au cours de la première moitié du XXème siècle aurait un impact aussi important sur ses descendants, et que des années plus tard, des voisins proches seraient confrontés à des situations économiques et sociales radicalement différentes.

Soixante-dix ans après que les anciens de Madha ont décidé de prêter allégeance au sultanat d’Oman, un écho moderne de cette décision nous frappe dès lors que l’on pénètre l’enclave. Il se présente sous la forme d’un bip lorsque votre téléphone portable enregistre un message texte automatique d’Omantel vous informant que vous n’êtes plus aux Émirats arabes unis.

S’il n’y avait pas eu ce message, le non-observateur n’aurait peut-être même pas remarqué le passage d’une frontière internationale. En effet, contrairement aux autres frontières des EAU avec Oman et l’Arabie saoudite, aucune barrière sécurisée n’en limite l’accès.

Madha se singularise toutefois par son architecture différente et ses routes plus étroites. Elle donne l’impression d’un autre pays, qui va au-delà du remplacement du drapeau familier des Émirats par le drapeau omanais.

Aujourd’hui, la véritable ironie de la décision des Madhanis de se ranger du côté d’Oman est que leur jugement a été influencé en partie par le fait qu’ils étaient plus riches que les villes qui les entouraient et qu’ils souhaitaient un gouvernement plus fort. Avant les pétrodollars, la richesse se mesurait en termes d’eau abondante et de sol fertile. Madha a eu la chance d’avoir les deux dans une région où c’était l’exception plutôt que la règle.

Des années plus tard, la découverte du pétrole et la prospérité relative qui en ont découlé ont fait disparaître les avantages naturels dont jouissait Madha. Aujourd’hui, son sol fertile ressemble moins à un atout qu’à une relique d’une autre époque. Il s’agit plutôt d’une anomalie créée par une ancienne réunion tribale et la décision capitale qui en résulterait, une décision qui ferait à jamais de deux petits villages des pays différents. Lors de telles réunions, les destins sont souvent façonnés.