Le Liban est depuis près de trois ans assailli par des crises cumulées : crise économique et financière, suivie de la pandémie et, enfin, de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020. La crise économique a eu de loin l’impact négatif le plus important et le plus persistant.
Alors que le pays du Cèdre rayonnait pour sa prospérité il y a quelques années, le pays fait désormais face à un climat socio-économique extrêmement tendu, au moment où l’Etat ne parvient plus à assurer ses fonctions les plus essentielles.
Depuis le début des premières manifestations en 2019, le pays est confronté à une impasse politique empêchant les gouvernements successifs de mettre en œuvre des réformes urgentes, tandis que la livre libanaise n’a jamais été aussi faible. Celle-ci a perdu 95% de sa valeur sur le marché parallèle depuis deux ans. Le taux de change officiel au 3 août 2022 est de 30400 livres pour 1 dollars. Avant la crise le même dollar valait 1500 livres. Parallèlement, le moral des libanais est au plus bas et leurs conditions de vie ne cessent de se détériorer.
Grève des fonctionnaires
Le secteur public est l’une des principales victimes de la crise. La semaine dernière, les contrôleurs aériens de l’aéroport international de Beyrouth ont annoncé qu’ils cesseraient de travailler la nuit en août, soulignant la gravité d’une situation qui affecte chaque secteur, des tribunaux aux écoles. La grève a également affecté les procédures judiciaires et provoqué des retards dans le traitement des libérations anticipées qui auraient pu raccourcir les peines d’emprisonnement de certains détenus.
Pour beaucoup de fonctionnaires la baisse du pouvoir d’achat est telle qu’il est préférable de ne plus venir travailler, encore plus avec l’envolée du prix de l’essence. Et pour cause. Depuis 2019, le salaire minimum mensuel a sombré de 450 dollars à 24 dollars tandis que les salaires des fonctionnaires sont encore calculés sur le taux de change officiel d’avant crise. Avec les grèves, l’absentéisme s’est également aggravé et certains ministères ne fonctionnent qu’avec 5% ou 10% des effectifs, faisant planer le doute d’une paralysie de l’Etat.
Quant au travail à domicile, il ne représente pas une réelle solution tant les coupures d’électricité et d’Internet sont nombreuses, les foyers libanais ne recevant à peine plus de deux heures d’électricité par jour.
Le gouvernement n’a jusqu’à présent pas réussi à approuver un nouveau budget ou des augmentations de salaire de quelque nature que ce soit, au grand dam des organisations syndicales. Les ministères sont également à court de fournitures de base comme le papier et l’encre, symbole du manque de considération de l’Etat envers ceux qui lui permettent de tenir.
Les pénuries d’approvisionnement en eau et électricité
La Société des eaux de Beyrouth et du Mont Liban, un organisme de service qui fournit de l’eau à plus de la moitié du Liban, a récemment annoncé le début d’un rationnement sévère de l’eau. Certains villages comme Beit Yahoun dans le sud du pays sont même obligés de recourir à des générateurs d’eaux privés car les autorités y ont coupé l’approvisionnement en eau depuis plus d’un an. Même lorsque l’eau est fournie, celle-ci est extrêmement contaminée, à tel point qu’on ne peut pas la boire. Et la crise de l’eau devrait s’aggraver si aucune solution adéquate n’est trouvée, en particulier pour l’électricité, qui est l’une des raisons principales des problèmes d’approvisionnement en eau.
Depuis le printemps 2021, la Banque du Liban ne peut plus financer les importations de carburant qui alimentent les deux centrales électriques du pays. Face à la pénurie d’électricité et au rationnement extrême opéré par l’Electricité du Liban (EDL), le pays est ainsi obligé de multiplier ses sources d’approvisionnement. Un don de carburant en provenance de l’Irak permet encore à l’EDL de fournir deux heures d’électricité par jour, soit environ 500 mégawatts (Mw) contre 1500 auparavant. Les libanais, habitués aux tarifs bas d’EDL, inchangés depuis 1994, et au recouvrement irrégulier des paiements, ont vu leur factures d’électricité augmenter de façon exponentielle. Depuis la suppression des subventions aux carburants à l’automne 2021, les tarifs des générateurs se sont alignés sur le prix du diesel qui a atteint mi-février 800 dollars la tonne.
Une autre solution visant à importer du gaz et de l’électricité depuis l’Egypte et la Jordanie fut trouvée mais peine à être mise en œuvre. Ces types de solutions ne sont cependant pas durables et le secteur libanais de l’énergie nécessite une réforme sérieuse, loin des interventions politiques, et une meilleure gouvernance. Il existe un grand potentiel pour les énergies renouvelables au Liban, comme l’éolien et le solaire, mais sans une meilleure gouvernance, rien de tout cela n’est possible.
Les ménages et les entreprises libanais dépendent, de l’accès par un abonnement, des opérateurs privés de générateurs diesel pendant les pannes. Cela signifie que même si les tarifs officiels sont bas, les prix par kWh sont finalement plus élevés en raison des factures payées aux opérateurs privés. L’épargne des Libanais, rongée par l’effondrement de la monnaie nationale qui a perdu 95% de sa valeur par rapport au dollar, s’amenuise. S’offrir un forfait de cinq ampères – nécessaire pour allumer les ampoules, le réfrigérateur et la télévision – à 1,5 million de livres libanaises par mois, soit près du double du salaire minimum, est devenu un luxe dans un pays où 82 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
L’inquiétante hausse de la pauvreté
Au Liban, la pauvreté renvoie à deux situations. Tout d’abord, elle fait référence aux individus et aux ménages qui vivent en-deçà du seuil de pauvreté, défini comme une mesure monétaire. Cette approche est la mesure la plus basique et universelle de la pauvreté. Cependant, les recherches et les enquêtes menées au Liban ont permis l’émergence d’un concept plus complexe : la pauvreté multidimensionnelle. Elle prend en compte des aspects de privation qui ne sont pas liés à des contraintes financières. En effet, nombreux sont les libanais privés de soins de santé, de médicaments, ou d’éducation même s’ils ne sont pas matériellement pauvres.
Le coût des denrées alimentaires ne cesse de battre des records, rendant inabordable des aliments essentiels comme la viande pour la plupart des familles libanaises mais aussi l’armée, afin de faire des économies dans le budget de l’institution militaire. Le pain, dont le blé est traditionnellement importé d’Ukraine est également devenu un mets de luxe qui nécessite des heures de queue devant les boulangeries pour espérer en obtenir.
Quant aux réfugiés palestiniens et syriens, qui représentent un quart de la population du pays, ils vivent dans une pauvreté extrême. Malgré les promesses, ils ne jouissent pas des mêmes droits que les citoyens libanais et sont considérés comme une charge pour la société. Enfin les travailleurs domestiques asiatiques, employés dans un ménage sur quatre, sont souvent exploités dans le cadre du système de la Kafala.
La situation politique
Dans cette descente aux enfers que traverse la population, l’attente du changement se fait pesante, rythmée par les discours et slogans des forces politiques traditionnelles, lesquelles promettent des réformes qu’elles ne veulent et ne peuvent réellement faire. Si les élections sont traditionnellement des moments importants pour le renouvellement du champ politique, rien de radicalement différent n’est sorti des urnes lors des élections d’avril dernier. En outre, les conséquences de cette crise sont là pour un moment.
Deux mois et demi après le début du mandat du nouveau parlement, les discussions devant mener à la formation d’un nouveau gouvernement sont au point mort. Le Liban n’est cependant pas étranger à la paralysie politique. Il eu fallu 13 mois de négociations entre politiciens pour former le gouvernement actuel du Premier ministre Najib Mikati. Mais ces nouvelles impasses politiques ont un prix élevé, surtout si l’on considère que l’économie est en pleine crise et que le gouvernement intérimaire ne peut pas introduire de nouvelles lois ou faire quoi que ce soit d’autre qu’expédier les affaires courantes.
Le Hezbollah a déjà insisté sur un « gouvernement d’unité nationale » comprenant des représentants de toutes les forces politiques du pays, tandis que les Forces libanaises chrétiennes, galvanisées, veulent un gouvernement où l’influence de leurs adversaires politiques est minimale. Le Président du parlement, Nabih Berry a quant à lui averti sur la nécessité de former un gouvernement le plus vite possible à l’approche de l’expiration du mandat du chef de l’État Michel Aoun en octobre. Reste à savoir si la présidentielle sera tenue dans les délais prévus par la Constitution, dans un pays habitué à ne pas les respecter en raison de querelles politiques interminables.